En 2020, les invasions de terres et les meurtres d’autochtones ont augmenté en pleine pandémie
Le rapport annuel du Cimi fait état de la persistance d’une violence élevée à l’encontre des peuples autochtones au Brésil, même au cours d’une année marquée par la pandémie de Covid-19
Le Rapport sur les Violences contre les peuples autochtones du Brésil, publié chaque année par le Conseil Missionnaire pour les Autochtones (CIMI), dresse, selon les données 2020, le portrait d’une année tragique pour les peuples autochtones du pays. La grave crise sanitaire provoquée par la pandémie de coronavirus n’a pas, contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, empêché les “grileiros” (accapareurs de terres), orpailleurs, bûcherons et autres envahisseurs d’intensifier davantage encore leurs attaques en terres autochtones (TI).
La deuxième année du gouvernement Jair Bolsonaro a représenté, pour les peuples autochtones, la poursuite et l’approfondissement d’un scénario extrêmement préoccupant en ce qui concerne leurs droits, leurs territoires et leurs vies, particulièrement affectés par la pandémie de Covid-19 – et par le délit d’omission du gouvernement fédéral d’établir un programme de protection des communautés autochtones.
L’année 2020 a été marquée par le nombre élevé de décès survenus au Brésil en raison de la mauvaise gestion du combat contre la pandémie, guidée par la désinformation et la négligence du gouvernement fédéral. Cette réalité, regrettable pour la population brésilienne en général, a représenté une véritable tragédie pour les peuples autochtones.
Dans de nombreux cas, le virus qui a atteint les villages et entraîné des morts, a été introduit dans les territoires autochtones par des envahisseurs qui ont continué à agir illégalement dans ces zones en pleine pandémie, sans être contrôlés ou dérangés par des mesures de protection relevant de la constitution et qui auraient dû être prises par le pouvoir exécutif. Ce rapport a révélé qu’en 2020 les cas “d’invasions de propriété, d’exploitation illégale de ressources et de dommages à la propriété” ont augmenté par rapport au nombre déjà alarmant qui avait été enregistré au cours de la première année du gouvernement Bolsonaro. 263 cas ont été enregistrés en 2020 – une augmentation par rapport à 2019, où 256 cas l’avaient été et une augmentation de 137 % par rapport à 2018, où 111 cas avaient été identifiés. Il s’agit de la cinquième augmentation consécutive enregistrée : en 2020, au moins 201 terres autochtones, de 145 peuples différents, ont été envahies dans 19 États.
Les invasions et les cas d’exploitation des ressources naturelles et de dommages aux biens enregistrés en 2020 reprennent le schéma identifié l’année précédente. Les envahisseurs sont, en général, des bûcherons, des orpailleurs, des chasseurs et des pêcheurs illégaux, des éleveurs et des accapareurs de terres, qui envahissent les terres autochtones pour s’approprier illégalement du bois, dévaster des rivières entières à la recherche d’or et d’autres minéraux, pratiquant la déforestation et le brûlage de vastes zones pour ouvrir des pâturages. Dans de nombreux cas, les envahisseurs divisent les terres en “lots” qui sont illégalement commercialisés, y compris sur des terres autochtones habitées par des peuples isolés.
Ces groupes et individus agissent avec la certitude de la connivence – souvent explicite – du gouvernement, dont les actions dans le domaine de l’environnement ont été résumées par la célèbre phrase du ministre de l’Environnement de l’époque, Ricardo Salles : il fallait profiter de la pandémie pour ” faire passer le troupeau”, c’est à dire avancer avec la libéralisation des normes.
Le cas des peuples Yanomami, Ye’kwana et Munduruku illustre la relation étroite entre l’action des envahisseurs, l’omission de l’État et l’aggravation de la crise sanitaire. Dans la TI Yanomami, où l’on estime la présence illégale de quelques 20 000 mineurs, les envahisseurs dévastent le territoire, provoquent des conflits, pratiquent des actes de violence à l’encontre de la population autochtone et servent de vecteurs au coronavirus – dans un territoire où l’on trouve également des autochtones en isolement volontaire.
Dans de nombreux villages, la pandémie a coûté la vie à des personnes âgées, véritables gardiennes de la culture, de l’histoire et des connaissances de leurs peuples, ce qui représente une perte culturelle inestimable – non seulement pour les peuples autochtones directement touchés, mais pour toute l’humanité. Selon les données de l’Articulation des peuples autochtones du Brésil (APIB), plus de 43 000 autochtones ont été contaminés par le Covid-19 et au moins 900 sont morts de complications de la maladie, en 2020.
La violence exercée contre les peuples autochtones et leurs territoires est cohérente avec le discours et les pratiques d’un gouvernement dont le projet est d’ouvrir les terres autochtones à une exploitation prédatrice, en rendant ces zones disponibles à une appropriation privée favorisant les intérêts des grandes entreprises de l’agronégoce, des sociétés minières et d’autres grands groupes économiques.
Cette option politique du gouvernement fédéral est attestée par de nombreux discours prononcés par le président de la République lui-même et par des mesures concrètes telles que le projet de loi (PL) 191, présenté par le gouvernement au Congrès national en février 2020, et l’instruction normative (IN) 09, publiée par la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI) en avril.
Alors que le PL 191/2020 prévoit l’ouverture des terres autochtones à l’exploration minière, gazière et pétrolière et à la construction de barrages hydroélectriques, entre autres activités prédatrices, l’IN 09/2020 permet désormais la certification de propriétés privées sur des terres autochtones non enregistrées – ce qui inclut les terres en phase avancée de la procédure de démarcation et les zones soumises à des restrictions d’utilisation en raison de la présence de peuples isolés.
Ces mesures ont également eu une influence directe sur l’augmentation des cas de “conflits liés aux droits territoriaux”, qui ont plus que doublé par rapport à l’année précédente. On a recensé 96 cas de ce type en 2020, soit 174 % de plus que les 35 identifiés en 2019.
Il convient également de noter l’augmentation considérable des meurtres d’autochtones au Brésil. En 2020, 182 ont été assassinés – un nombre supérieur de 61% à celui enregistré en 2019, où 113 meurtres ont été recensés.
Le fait que, bien que tous les types de violence n’aient pas augmenté par rapport à 2019, en 2020, le décompte global des catégories “violence contre la personne” et “violence contre les biens autochtones” a été le plus élevé de ces cinq dernières années, constitue une synthèse de ce sombre scénario. Sur la même période, les cas de “violence par omission du pouvoir public” ont seulement été inférieurs à ceux de 2019, première année du gouvernement Bolsonaro.
La paralysie de la démarcation des terres autochtones, annoncée par le président de la République pendant sa campagne électorale, continue d’être une ligne directrice de son gouvernement
Violence contre les biens
En ce qui concerne les trois types de “violence contre les biens”, qui constituent le premier chapitre du rapport, les données suivantes ont été enregistrées : omission et lenteur dans la régularisation des terres (832 cas) ; conflits liés aux droits territoriaux (96 cas) et invasions de propriété, exploitation illégale des ressources naturelles et divers dommages aux biens (263 cas enregistrés). Les relevés donnent donc un total de 1 191 cas de violence contre les biens des peuples autochtones en 2020.
La paralysie de la démarcation des terres autochtones, annoncée par le président de la République pendant sa campagne électorale, continue d’être une ligne directrice de son gouvernement. Sur les 1 299 terres autochtones du Brésil, 832 (64%) sont toujours en attente de régularisation. Parmi celles-ci, 536 sont des zones revendiquées par les peuples autochtones, mais sans aucune action de l’État pour lancer le processus administratif d’identification et de démarcation.
Violence sur la personne
En 2020, les données sur la “violence à la personne”, systématisées dans le deuxième chapitre du rapport, étaient les suivantes : abus de pouvoir (14) ; menace de mort (17) ; menaces diverses (34) ; meurtres (182) ; homicide coupable (16) ; lésions corporelles intentionnelles (8) ; racisme et discrimination ethnoculturelle (15) ; tentative de meurtre (13) et violence sexuelle (5). Les registres totalisent 304 cas de violences perpétrées sur un autochtone en 2020. Ce total est supérieur à celui enregistré en 2019, où 277 cas ont été identifiés.
Les États ayant enregistré le plus grand nombre de meurtres d’autochtones en 2020, selon les données obtenues auprès du Secrétariat spécial pour la santé autochtone (SESAI) et des secrétariats à la santé des États, sont Roraima (66), Amazonas (41) et Mato Grosso do Sul (34). Malheureusement, les données fournies par le SESAI et ces Etats ne présentent pas d’informations détaillées sur les victimes ou les circonstances de ces assassinats, ce qui rend impossible toute analyse plus approfondie.
Deux cas qui se sont produits au milieu d’actions désastreuses de la police militaire se distinguent dans ce contexte. Dans l’État d’Amazonas, l’affaire connue sous le nom de “massacre de la rivière Abacaxis” trouve son origine dans le conflit provoqué par des touristes ayant illégalement pénétré sur le territoire des populations autochtones et riveraines, dans la région des rivières Abacaxis et Marimari, pour y pratiquer la pêche sportive. Une opération de la police militaire y a entraîné la mort de deux autochtones du peuple Munduruku et d’au moins quatre riverains, ainsi que la disparition de deux autres personnes et plusieurs signalements de violations des droits humains commises par la police. Dans le Mato Grosso, quatre autochtones chiquitano qui chassaient dans une zone proche de leur village ont été tués par des policiers du Groupe spécial des frontières (GEFRON).
Il convient de noter que de nombreux cas d’abus de pouvoir, de menaces diverses, de racisme et de discrimination ethnoculturelle se sont produits lorsque les populations autochtones cherchaient à obtenir des soins ou une assistance en pleine pandémie. Outre les décès et la faim qui ont touché de nombreuses communautés en situation d’extrême vulnérabilité, les préjugés et le racisme ont été des facteurs aggravants dans les souffrances endurées par les peuples autochtones pendant la crise sanitaire.
Violence par omission du pouvoir public
Bien qu’ils n’aient pas enregistré d’augmentation par rapport à 2019, les cas de “violence par omission du pouvoir public” en 2020 sont restés, comme l’année précédente, à un niveau élevé par rapport à celui enregistré dans les années précédant immédiatement le début du gouvernement Bolsonaro.
Sur la base de la loi sur l’accès à l’information (LAI), le CIMI a également obtenu du SESAI des données partielles sur le suicide et la mortalité dans l’enfance autochtone. En 2020, 110 suicides d’autochtones ont été enregistrés dans tout le pays. Les états d’Amazonas (42) et de Mato Grosso do Sul (28) restent ceux qui ont enregistré le plus grand nombre d’occurrences. Il n’y a pas eu d’augmentation des cas par rapport à 2019, où les données du SESAI indiquaient 133 suicides.
Toujours selon les données du SESAI, 776 décès d’enfants âgés de 0 à 5 ans ont été enregistrés en 2020. Dans ce cas également, les États ayant enregistré le plus grand nombre d’occurrences sont les mêmes que l’année précédente : Amazonas (250 cas), Roraima (162) et Mato Grosso (87). Bien que, comme pour les suicides, le nombre de cas n’ait pas augmenté par rapport à 2019, le SESAI rappelle que les données sont préliminaires et sont susceptibles d’évoluer.
Toujours dans cette catégorie, les données suivantes ont été enregistrées : non-assistance générale (51) ; non-assistance dans le domaine de l’éducation scolaire autochtone (23) ; non-assistance dans le domaine de la santé (82) ; diffusion de boissons alcoolisées et autres drogues (11) et décès par non-assistance à la santé (10), soit un total de 177 cas.
Toujours dans ce chapitre, la plupart des cas rapportés sont directement liés au contexte de la pandémie et au manque d’assistance des autorités publiques, notamment dans le domaine de la santé. Le manque de soutien à l’installation de barrières sanitaires sur les terres autochtones, l’interruption ou l’omission de la fourniture de paniers alimentaires de base et de matériel d’hygiène, nécessaires pour assurer les conditions élémentaires de protection et de prévention contre le Covid-19, sont quelques-uns des cas récurrents enregistrés dans ce chapitre.
Articles et données sur la pandémie
Outre les données se référant à l’année 2020, le rapport présente également des articles avec la proposition d’approfondir la réflexion sur la réalité des peuples autochtones dans le pays. Cette année, trois articles traitent des impacts de la pandémie sur les populations autochtones, accompagnés d’une synthèse des données sur les décès et les contaminations chez les populations autochtones systématisées par l’APIB et le SESAI pour l’année 2020. Les textes traitent de la manière dont la pandémie a affecté les peuples autochtones du pays, de la négligence du gouvernement fédéral à réagir à la crise sanitaire et de la situation des autochtones incarcérés en pleine pandémie. En outre, deux autres articles traitent du racisme et de la discrimination à l’égard des peuples autochtones et de la séquestration de l’eau des rivières par l’agrobusiness à Tocantins.
Traduction : Du Duffles et Julia Canterini pour Autres Brésils et Observatoire de la Démocratie Brésilienne
Relecture : Philippe Aldon